samedi 5 avril 2014

Djihadiste suisse en Syrie: courrier du téléspectateur à la suite du JT du 04 avril 2014

Messieurs bonjour,

lausanne-tour-taoua-urbanistique-point-final-nour-el-mesbahi-billet-dhumeurLe journal télévisé du 19h30 de la RTS [Radio Télévision Suisse] a diffusé ce 04 avril 2014 un reportage intitulé : « Un djihadiste suisse témoigne de ses "mois d'enfer" en Syrie » (lien ci-dessous). Ayant comme source principale un ressortissant suisse endoctriné dans "l'Islam extrémiste" interviewé à son retour de Syrie par un journaliste (M. Ruchti) dans un bureau. On ne voit pas le "pseudo-djihadiste" à l'image, on n'entend pas sa voix (même pas une voix déformée). On ne peut que croire le journaliste qui retranscrit à l'oral ses propos. Aucune vérification d'authenticité possible.

Également aucune contextualisation politique, propre à ce journal-ci, pour expliquer son appartenance aux anti-Bachar-el Assad. C'est-à-dire une milice à majorité non-syrienne, armée et financée par la Turquie, le Qatar et l'Arabie Saoudite (alliés des USA) pour faire tomber un des derniers bastions des pays de l'ancien bloc communiste soviétique ou de ses alliés historiques du nationalisme arabe (Afghanistan, Irak, Égypte, Libye, Syrie, suite logique). En effet, le capitalisme financier américain en crise a besoin de nouveaux territoires à conquérir pour ne pas mourir. Au bout du compte, rien à voir avec l'Islam. Ainsi, quelle distanciation prenez-vous avec le terme "djihadiste"?

Quant à la forme, le reportage est présenté comme une enquête inédite par M. Darius Rochebin [présentateur JT], alors qu'il n'y a aucune enquête de terrain sérieuse démontrée: une personne a peut-être appelé la RTS et s'est présenté spontanément, c’est l’impression que cela nous laisse. Pas d'images de terrain non plus, ce sont des vidéos Youtube. On va probablement taper au clavier sur Facebook les noms que donne cette personne, on affirme que ce sont eux les recruteurs sans nous en donner les preuves, on y dénote que le lieu de résidence d'un de ses recruteurs est Neuchâtel, donc il habite nécessairement à Neuchâtel. Nul n'a imaginé une seule seconde que sur Facebook, on peut paramétrer le lieu de résidence que l'on veut? Journalisme d'investigation ? Limite... Les images et chants religieux pris sur Youtube (et donc décontextualisés) ont un impact fort sur le téléspectateur, même pas contrebalancés par des explications (contextualisées) d'ordres géopolitiques et géostratégiques.

Mais reprenons l’angle d’attaque des deux journalistes (MM. Ruchti et Colin). C’est-à-dire premièrement donner des informations sur le profil sociologique d’un « pseudo-djihadiste », deuxièmement son parcours biographique avec le circuit qui l’amène jusqu’en Syrie et finalement une description des combats (un peu de sensationnalisme tout de même). Qu’apprend-t-on ? Pas grand-chose. C’est un jeune homme suisse, de bonne famille, éduqué et converti. Quelque chose quant aux raisons sociales qui l’ont poussé à se convertir ? Rien. Une petite interprétation facile à faire comme le besoin de se trouver une identité dans une société où il se sentait perdu ? Non plus. Pour le parcours biographique, il s’est rendu à Lyon. Quid de l'identité du chef des recruteurs ? Abou Al Hassan, français de Haute-Savoie. C’est tout ? Probablement, ce chef avait son profil Facebook en mode privé... La description des combats ? Le journaliste, M. Ruchti, avoue lui-même que notre « héros » n’a pas été au combat. Il a donc seulement été logé à l’arrière du front, mais M. Rochebin a bien dit qu’il était embrigadé au combat avant de lancer le sujet (?). Donc, aucun témoignage du combat juste les vidéos Youtube ? Au final, quel est donc l’intérêt de ce personnage? Ah si, notre "pseudo-djihadiste" s’exclame (ou plutôt le journaliste s'exclame pour lui) de l'horreur de constater des miliciens utiliser une ambulance comme transport de munition. Est-il nouveau que les Conventions de Genève ne soient pas respectées en temps de guerre ? Il y en a même dans l’Histoire qui ont fait croire qu’ils offraient un cheval (de Troie) en cadeau…

Le pire, c'est peut-être les propos que vous dites M. Colin à la fin des soi-disantes précisions. Vous vous parez maladroitement d’une tunique de sauveur en soutenant que le reportage pourrait dissuader des personnes d’aller se faire exploser. C’est faire grande louange à sa fonction. Mais avant toute chose si vous avez des identités numériques de délinquants, ne les donnez pas au public, mais à Interpol! S’ils sont véridiques, pour sûr leurs détenteurs vont les changer dès demain. Peut-être avez-vous sans le savoir enrayé le travail des vrais professionnels du renseignement?

Je compatis tout à fait la difficulté de ce métier où l’on est épié par des centaines de milliers de personnes voir des millions. Mais sur un sujet aussi sensible que l’Islam dans le contexte actuel, qui plus est dans une région comme le Moyen-Orient, où la précision et la retenue se doit être constante, je suis très déçu par ce qui s’est passé ce 4 avril 2014 entre 19h45 et 19h50. Je pensais que la rédaction info de la RTS avait gardé une indépendance d'esprit, je remarque qu'elle ne fait qu'adhérer au cancan ambiant, j'en conclus donc comme Regis Debray: journaliste, celui qui lit les autres journaux.

Mes meilleures salutations

Nour El Mesbahi

Lien menant à la vidéo du JT du 04 avril 2014 sur le sujet incriminé: cliquez ici
(voir à la fois le reportage et les précisions sur le plateau)


P.S: Suite à l'envoi de ce courrier du téléspectateur à la rédaction Info de la RTS le samedi matin 05 avril, la chaîne de télévision est revenue donner de nouvelles informations sur ce même sujet le dimanche soir 06 avril. Comme par hasard, la voix du "pseudo-djihadiste" est cette fois-ci audible, alors qu'il fallait absolument la cacher pour des raisons de sécurité dans le premier reportage. Soit on nous a pris pour des andouilles en ayant voulu faire du sensationnalisme au premier reportage, soit on a décidé soudainement de mettre en danger le "pseudo-djihadiste" (???). De plus, la tonalité entre un journaliste exclamatif dans sa retranscription au premier reportage et celle ironique de notre héros in live au second, décrivant une mauvaise organisation sur place, crée un décalage dans la perception du téléspectateur.

Puis, le journaliste (M. Ruchti) décrit avec un peu plus de détails cette fois-ci le profil sociologique (fils de notaire, classe moyenne, aimant le sport), le parcours qu'il a effectué (Suisse->Lyon->Istanbul->Syrie), les raisons probables de son endoctrinement (période de grande fragilité, échecs personnels, questionnements existentielles, rencontres avec de mauvaises personnes). De là à voir ses précisions qui nous est offerte comme le résultat de mon mail, il n'y a qu'un pas que je laisserai à vous lecteur le soin de franchir ou non...

Lien menant à la vidéo du JT du 06 avril 2014 sur le sujet incriminé: cliquez ici (reportage)
Lien menant à la vidéo du JT du 06 avril 2014 sur le sujet incriminé: cliquez-ici (précisions sur le plateau)

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